Les anciennes conceptions d’un microcosme qui correspond au macrocosme imaginent en général le microcosme comme organique et mettent le corps humain en rapport avec les éléments naturels.
Mais aujourd’hui, dans un monde largement artificialisé, ce sont plutôt les composants les plus petits de l’univers cybernétique qui correspondent aux mêmes structures monumentales et qui devraient abriter la vie humaine.
Ainsi, les photos des circuits informatiques de Nicolas Terrasson évoquent une ville d’une terrible beauté froide au lever du soleil, sans trace de vie humaine, mais avec des bâtiments à la Blade Runner.
Dans cet univers, les machines sont seules et remplacent les hommes, à partir de l’état embryonnaire, et ont elles-mêmes des organes. Les bocaux dans lesquels doivent se développer les futures machines (et qui, en s’appelant « Natures mortes », prétendent bien être de la nature) vont bien au-delà des fœtus placés dans des solutions chimiques dont parle Aldous Huxley dans son Monde nouveau.
Parfois les machines reprennent des formes organiques et évoluent vers des cyborg, cette union définitive de la machine avec ses créateurs imparfaits.
Dans les dessins (qui sont des « Relevés anatomiques » de l’inorganique), les machines, sans utilité ou usage compréhensible, forment un univers à la Bosch (le peintre, pas l’industriel), où des formes folles nous entraînent dans un sabbat (ou « esba », selon un terme médiéval) inquiétant, ou le mort et le vif, l’organique et l’anorganique, la machine et l’homme échangent leur place, se confondent, se mêlent…
et il y a même des informaticiens humains qui participent à cette orgie où la matière et la vie se compénétrent…
Anselm Jappe
philosophe, professeur d’esthétique
spécialiste de la pensée de Guy Debord
théoricien de la wertkritik